Commémoration du 30ème anniversaire de la marche
Par Hafedh AFFES
Le 3 décembre 1983, plus de 100 mille personnes défilaient dans les rues de Paris à l’occasion de l’arrivée de la marche pour l’égalité et contre le racisme. La marche avait débuté le 17 octobre suite à l’initiative de quelques jeunes de la banlieue lyonnaise. Cette initiative répond à un climat délétère engendré depuis quelques années par la dégradation du cadre de vie des populations immigrées, parquées dans des zones délabrées et dépourvues de tous les fondamentaux d’une vie décente. La marche contre le racisme et pour l’égalité des droits se présente donc comme une réponse aux différentes injustices vécues au quotidien par les habitants des Minguettes(1) dans la banlieue lyonnaise.
Elle arrive juste à temps pour dénoncer une situation exécrable caractérisée par la multiplication des violences policières et surtout des crimes racistes perpétrés contre les populations des banlieues et plus particulièrement maghrébines. Les statistiques concernant les meurtres racistes sont éloquents. De janvier 1980 à octobre 1983, date du déclenchement de la marche, 52 crimes racistes (2) ont été commis en France contre des citoyens maghrébins. Des crimes minimisés par les pouvoirs publics et sanctionnés avec beaucoup d’indulgence voire demeurant impunis au grand dam des populations concernées qui attendent que justice soit faite. S’ajoute à cette impunité, le rôle macabre joué par la presse locale qui n’a de cesse de justifier les crimes racistes et de jeter l’opprobre sur les populations immigrées en véhiculant une image dégradée des quartiers populaires et d’alimenter la haine. L’implication de la presse dans la stigmatisation des populations immigrées ne faisait aucun doute. Dans un forum organisé le 23 juillet 1983, les associations organisatrices accusent (3) « certains journalistes, chargés des faits divers, de diffamations dangereuses dans un contexte xénophobe et violent qu’ils entretiennent en publiant systématiquement les versions policières des événements ».
Dans un contexte complètement défavorable à leur cause, les instigateurs et à leur tête Toumi Djaidja(4) avaient opté pour une démarche pacifique. Pour ce dernier, l’initiateur principal de la marche, « on aurait pu lever le poing, mais c’est la main tendue qu’on a préféré lancer à la France ».
La marche contre le racisme et pour l’égalité des droits constitue donc un tournant dans la perception du conflit qui opposait la police aux habitants et en l’occurrence les jeunes. Ceux-ci cherchant à donner une nouvelle image de la banlieue lyonnaise avaient enterré la hache de guerre. La marche acquiert donc une dimension non belligérante. Et pourtant le contexte poussait à l’affrontement. Ce choix n’était pas très apprécié par un certain nombre d’associations issues de l’immigration qui souhaitaient en découdre autrement. Toute fois, la marche avait suscité l’enthousiasme et le soutien de beaucoup de monde, des collectifs d’associations se sont mobilisés pour accueillir et accompagner les marcheurs lors de leur passage. A côté des associations et collectifs militants, des personnalités politiques, des intellectuels, des membre du clergé etc. avaient apporté leur soutien à cette initiative qui met à nu les pratiques discriminatoires, les contrôles au faciès, le racisme, la xénophobie, la précarité, la paupérisation à grande échelle des populations des quartiers sans omettre les violences racistes et meurtrières.
De son côté, la presse locale et nationale n’a pas raté l’occasion pour encenser la marche de son effluve magique après avoir longtemps stigmatisé les habitants des quartiers populaires. La banlieue acquiert donc une nouvelle dimension, adieu la stigmatisation, bonjour l’instrumentalisation. La marche se marchandise. Toute fois, il n’en demeure pas moins que la presse avait bel et bien contribué à la médiatisation et la réussite de la marche.
L’objectif assigné par les initiateurs à cette marche a été atteint. Les jeunes des Minguettes réussissent leur pari en drainant dans leur sillage plus de 100 000 personnes à la manifestation parisienne le 3 décembre 1983, en obtenant une prise de paroles lors du rassemblement, une rencontre avec le président de la République et surtout la reconnaissance des problèmes que rencontrent les jeunes des cités dans leur quotidien tels que le chômage, la précarité, l’exclusion sociale…
30 ans après, la marche pour l’égalité et contre le racisme a été célébrée un peu partout en France dans une atmosphère morose caractérisée par la montée du racisme, de la xénophobie, des discriminations et des inégalités économiques et sociales. Les raisons qui avaient poussé les jeunes des banlieues à marcher, il y a 30 ans, persistent. Rien n’est changé, tout s’aggrave. Aujourd’hui, le racisme en France se banalise. Les racistes de tout bord n’hésitent pas à le clamer haut et fort.
Malgré ce climat nauséabond, la marche a été fêtée en France y compris dans le Nord. Une semaine a été organisée par le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires et, Devoir d’Insolence avec la participation de plusieurs organisations dont l’ATNF. Pour fêter majestueusement cet événement majeur dans les luttes de l’immigration, plusieurs manifestations furent à l’ordre du jour. Des conférences-débats, des forums, des manifestations, une présentation théâtrale, la projection d’un film et enfin une marche symbolique de Lille à Roubaix pour clore la semaine.
La question se pose avec acuité : est-ce que la commémoration du 30ème anniversaire de la marche est un prélude à la poursuite de la lutte antiraciste ou bien la clôture d’une symphonie qui a trop duré ?
Le slogan de l’affiche de la semaine pour l’égalité et contre le racisme est bien limpide : « Reprenons la marche enclenchée en 1983 ».
1 -La ZUP des Minguettes est créée par un arrêté le 6 janvier 1960 dans une zone agricole vierge de 270 hectares à la banlieue de Lyon. La ZUP est composée de plusieurs quartiers : Monmousseau, Démocratie, Pyramides, Armstrong…
2 Voir le livre d’Abdellali Hajjat « La marche pour l’égalité et contre le racisme » Editions Amsterdam.
3 SOS Avenir Minguettes, Zaâma d’Banlieue et Wahid Association, cité par Abellali Hajjat.
4 Toumi Djaidja : jeune issu des Minguettes, initiateur de la marche.